Quelle est la réalité du métier de journaliste aujourd'hui ?
Ancienne journaliste à La Tribune de Toulouse, Sophie nous parle de son métier. Le journalisme est souvent une passion dévorante pour les hommes et les femmes qui exercent cette profession. Pourtant, la presse rencontre aujourd’hui de grosses difficultés (économique, crise de confiance, métier en mutation, etc).
Parlez-nous de votre parcours et de votre expérience professionnelle ?
Je suis journaliste à Toulouse depuis une dizaine d’années. Ma principale expérience professionnelle s’est faite dans la presse économique pour la Tribune Toulouse qui est l’antenne toulousaine du média national La Tribune, qui parle économie, innovation, vie des entreprises. J’y suis restée 5 ans, en commençant comme pigiste pour évoluer vers le poste de cheffe d’édition.
Je me consacre depuis un an et demi à des projets qui me tiennent à cœur et qui sont plus axés sur l’éducation aux médias et la place des femmes dans les médias. J’ai également donné naissance à une petite fille.
J’ai fait un bac éco, puis une licence de lettres étrangères appliquées anglais chinois à l’Université d’Aix en Provence. Ensuite, j’ai fait un Master en Ecole de Journalisme à Grenoble qui est une des 14 écoles reconnues par la profession. Dans ce master que j’ai validé en 2009, j’ai fait une spécialisation radio car j’ai commencé ma carrière de journaliste en radio dans le réseau France Bleu et dans les radios locales avant de passer dans la presse écrite en 2011.
Est-ce que selon vous, c’est mieux de faire une école de journalisme ?
De nos jours, le marché du travail étant très serré, c’est quand même mieux d’avoir fait une école de journalisme. Cela garantit un certain socle de connaissances et de compétences et permet de développer son réseau professionnel.
Néanmoins, les écoles de journalisme sont toutes sur concours payants, et ils sont assez difficiles. Il est important de savoir qu’il existe des associations qui permettent aux étudiants boursiers de passer les concours. Je suis bénévole pour l’une de ces associations qui s’appelle « La chance Média ». On propose bénévolement de préparer des jeunes au concours des écoles de journalisme et on leur fournit une aide financière pour qu’ils puissent les passer.
Quels conseils donneriez-vous à un.e étudiant.e qui aimerait passer ces concours ?
Pour être pris dans ces concours, il faut énormément lire et être à l’écoute de ce qui se fait dans les médias : lire la presse papier et web, écouter la radio, regarder la télévision, etc. Il faut se faire un avis de ce qu’on aime comme journalisme. On nous demande souvent pendant les concours quel est notre modèle de journaliste, quelles sont les plumes qu’on apprécie. C’est bien d’avoir une idée de quel journaliste on souhaite devenir.
Il est important de savoir qu’il existe des associations qui permettent aux étudiants boursiers de passer les concours.
Il y a toujours des tests de culture générale, mais c’est un peu la loterie. Je ne pense pas qu’un journaliste sache tout sur tout. Donc en savoir un maximum sur les sujets qui nous intéressent, c’est déjà bien.
Quelles sont les principales qualités pour devenir journaliste ?
A mon avis, la curiosité est indispensable. En effet quand on est journaliste, on ne traite pas uniquement des sujets qui nous intéressent. Donc il faut avoir une ouverture d’esprit pour pouvoir se plonger à fond dans un sujet qui ne nous intéressait a priori pas du tout. Et il faut être très rigoureux. Souvent les jeunes journalistes pensent qu’il faut faire du style, qu’il faut avoir sa patte. Mais on attend vraiment de la rigueur journalistique. C’est-à-dire une phrase bien construite, avec des faits, des informations.
Et il y en a pleins d’autres : il faut savoir travailler en équipe, être persévérant, avoir du sang-froid, gérer le stress, il faut aller parfois contre soi-même parce qu’il faut lutter contre sa timidité. Ça demande pleins de qualités comme beaucoup de métiers !
Quelles sont les avantages et les inconvénients de votre métier ?
Ce que j’adore dans ce métier, c’est qu’on apprend tous les jours de nouvelles choses. Et la curiosité permet justement d’apprendre de nouvelles choses tout le temps sur des sujets qui ne nous intéressaient pas forcément. Ce qui est super, c’est qu’on rencontre de nouvelles personnes en permanence qu’on n’aurait jamais rencontrées autrement dans la vie quotidienne !
Il y a beaucoup de formes de journalisme : la radio, la télé, la presse écrite, le web, mais aussi l’investigation, les hots news… chacun peut y trouver son compte. Même si à mon sens le reportage et le terrain font partie de la base. Mais attention au fantasme : le journalisme est un métier dans lequel on est très souvent au bureau devant un ordinateur.
Il y a aussi beaucoup d’inconvénients à ce métier, notamment parce qu’il évolue énormément et qu’il se précarise. Il faut comprendre que la plupart des journalistes sont des pigistes : ils n’ont pas de contrats fixes avec des rédactions, ils doivent proposer sans cesse des reportages qui sont souvent refusés, c’est très difficile d’être payé, correctement et dans les temps.
Le métier est en train de connaître des évolutions très fortes. Les journalistes ont aussi mauvaise réputation. Il faut aussi répondre aux attaques auxquelles on fait l’objet.
A titre personnel, quelle est votre vision de la place des femmes dans le journalisme ?
On a vu avec La Ligue du Lol qu’il y avait beaucoup de harcèlement dans ce milieu. A titre personnel, je n’ai pas connu de harcèlement d’hommes dans les rédactions dans lesquelles j’ai travaillé mais j’y ai vu beaucoup de sexisme. Il peut venir de la part des collègues, mais aussi de la part des interlocuteurs, des hommes que l’on interviewe. Honnêtement, je serai bien en peine de savoir quoi faire et quel conseil donner à part de ne pas rester seule quand ça arrive, d’en parler. C’est très important.
Et à côté de cela, il y a un autre problème : le manque de femmes aux postes de direction des médias . Il y a de plus en plus de femmes journalistes, dans les écoles de journalistes, on dit que c’est un métier qui se féminise beaucoup. Pourtant, le Club de la Presse Occitanie a mené une étude qui montre que dans notre région 17% seulement des postes de rédacteur.rices en chef.fe sont occupés par des femmes . Pour changer cela, comme dans d’autres secteurs, il faudrait revoir complètement l’organisation de l’entreprise et de la société en général. C’est un vaste chantier, et il y a beaucoup de choses à faire (horaires des réunions, télétravail, crèches d’entreprise, répartition des tâches ménagères, congés paternité…).
Un conseil pour les jeunes filles qui veulent devenir journaliste ?
Avoir confiance en soi. J’étais une jeune fille qui n’avait pas beaucoup confiance en elle dans le métier, et j’ai eu de la chance de rencontrer une rédactrice en cheffe qui m’a donné confiance en moi. J’étais un peu atteinte du syndrome de l’imposteur (je ne mérite pas ce compliment, je ne mérite pas ce poste à responsabilité…).
Ce n’est pas le métier de journaliste qui m’a déçu, ce sont les conditions dans lesquelles je l’ai exercé
Et je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui pensent comme cela. C’est compliqué de changer sans aide extérieure. Quand les femmes prennent conscience qu’elles peuvent s’entraider mutuellement, c’est une richesse incroyable.
Vous êtes actuellement en transition pour un métier qui a plus de sens à vos yeux. Est-ce parce que vous n’avez pas trouvé le sens que vous cherchiez dans le métier de journaliste ?
Pour être précise, je suis actuellement dans une période où je ne travaille pas parce que je suis en congé maternité mais effectivement, avant d’avoir un bébé, j’avais arrêté de travailler parce que j’en avais besoin. J’ai fait un burn-out en 2016. C’est un peu un triste constat, mais les journalistes de ma génération (j’ai 33 ans) se posent énormément de questions et beaucoup sont très fatigués de leur expérience professionnelle.
Il y a un autre problème : le manque de femmes aux postes de direction des médias
Ce n’est pas le métier de journaliste qui m’a déçue, ce sont les conditions dans lesquelles je l’ai exercé (pression subie, management à l’ancienne). J’aimerais m’orienter vers la pédagogie, la transmission, l’éducation aux médias, plutôt que du journalisme pur.
Vous êtes actuellement en transition pour un métier qui a plus de sens à vos yeux. Est-ce parce que vous n’avez pas trouvé le sens que vous cherchiez dans le métier de journaliste ?
Il y a une prise de conscience des journalistes, qui n’ont plus envie de travailler dans des conditions déplorables et sont conscients des limites de certains médias. Les journalistes se remettent beaucoup en question , contrairement à ce que l’on veut bien penser. Beaucoup d’entre nous souhaitent vraiment aller vers une presse de qualité, de réflexion, de pédagogie.
Il y a beaucoup d’initiatives innovantes qui voient le jour (je pense notamment aux podcasts, très à la mode en ce moment, qui sont des produits d’information et de culture très intéressants). Le monde du journalisme ne manque pas d’idées ! Je pense qu’il faut aussi avoir confiance dans la capacité des journalistes à proposer des choses qui correspondent aux attentes du public.
Par ailleurs, on a de la chance d’avoir des dizaines et des dizaines de médias en France. On peut critiquer en permanence BFM TV par exemple, mais on peut aussi arrêter de regarder si on n’apprécie pas la chaîne. On ne manque pas de médias.
Carte blanche !
Je vais en profiter de la carte blanche pour parler d’« Esprit Critik » qui est le dispositif que j’ai monté à Toulouse grâce au Club de la Presse Occitanie et qui permet de sensibiliser les jeunes à l’usage des réseaux sociaux et à détecter les fake news et théories du complot . C’est d’ailleurs une grande tendance du journalisme : Le fact checking.
De plus en plus de rédactions le font et je pense qu’effectivement avec la montée fulgurante des théories du complot sur les réseaux sociaux, c’est très important de rétablir les faits consciencieusement. Avec Esprit Critik, nous intervenons auprès des jeunes (collèges, lycées, associations) pour éveiller l’esprit critique et faire prendre conscience qu’il faut réfléchir avant de partager une information en se posant quelques questions (d’où vient l’info, est-elle crédible ?)
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