Des machines dotées de pouvoirs humains, capables de conscience, ce n’est pas pour demain. En revanche l’intelligence artificielle fait désormais partie de notre quotidien. Explications de Philippe Roussière, directeur Innovation pour Accenture Research.
Qu’appelle-t-on au juste l’intelligence artificielle ?
C’est un système informatique qui présente l’apparence d’une intelligence humaine. Plus précisément, c’est un ensemble de techniques qui capture du texte, de la vision, voire de l’audition, les traduit ensuite en information numérique, y applique du calcul mathématique pour, in fine, en comprendre le sens et en ressortir une prédiction ou une recommandation. Pour s’apparenter à l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle procède par apprentissage afin d’améliorer elle-même son fonctionnement.
On distingue deux types d’intelligence artificielle. Expliquez-nous ?
L’intelligence artificielle dite « faible » est aujourd’hui partout ! Elle consiste en des algorithmes ultra spécialisés, programmés avec des buts bien précis. La machine est alors capable de reproduire uniquement ce pour quoi elle a été formatée.
« Réserver un billet de train par le biais d’un « chatbot », filtrer les spams dans une messagerie, trouver des informations ou des photos par thèmes, jouer aux échecs ou au jeu de Go, gérer des stocks et des calendriers de livraison, piloter un avion font appel à l’intelligence artificielle. Sans forcément le savoir, elle nous accompagne dans notre vie de tous les jours. »
L’intelligence artificielle dite « forte » en est encore au stade expérimental. Dire qu’elle aurait, dans le futur, une conscience humaine est de l’ordre du rêve. C’est de la science-fiction. Une machine ne sera jamais capable de penser, ni de réfléchir « humainement ».
Dans quels domaines l’intelligence artificielle faible est-elle particulièrement performante ? Et en pratique comment cela se concrétise ?
L’intelligence artificielle a une puissance de calcul de milliards d’opérations par seconde. Elle permet de prédire, déduire, assurer et optimiser certaines situations. Elle se révèle particulièrement opérationnelle dans de nombreux domaines.
Notamment la science et la médecine. Prédire l’apparition d’un cancer à la lecture des images d’IRM et de scanner : plusieurs logiciels actuellement sur le marché sont capables d’analyser ce qu’ils regardent pour détecter une cellule maligne, évaluer son stade et conseiller un protocole de traitement adéquat.
Dans l’industrie aussi, l’intelligence artificielle permet moultes applications, comme programmer des machines qui vont réaliser des tâches répétitives, gérer les approvisionnements en fonction des saisons, des stocks présents, prévenir et détecter les pannes, économiser de l’énergie.
Dans les transports elle s’applique, entre autres, pour calculer et programmer la trajectoire d’un véhicule.
Sans oublier de nommer tous les secteurs bancaires, administratifs où elle assure les opérations et alerte lors de transactions frauduleuses et de cyberattaques.
Quels impacts cela va-t-il avoir sur l’emploi en général et les métiers ?
Certains métiers vont peu à peu disparaître ou s’adapter et d’autres apparaître. A moyen ou plus long terme, manutentionnaires en entrepôt, testeurs de bug informatique, hôtesses de caisse, chauffeurs de taxi ou téléopérateurs sont condamnés.
« Toutefois, la majorité des métiers vont évoluer en apprenant à collaborer avec les machines. »
Ce qui, selon les économistes, augmentera le potentiel de créativité, d’empathie, de communication et de collaboration au travail. Prenons l’exemple d’un employé qui fait des tâches répétitives. Allégé par la machine, il sera plus efficace pour avoir une meilleure écoute et mener à bien la relation avec le client ou ses collaborateurs. Idem pour le livreur. Le véhicule ira directement sur un lieu défini, mais s’en remettra à l’humain à bord pour gérer une situation complexe, par exemple si le destinataire est absent ou a besoin d’aide ou de conseil à la livraison.
Quant aux nouveaux métiers, la création de produits et services innovants liés à l’IA se traduira en nouveaux besoins de compétences, dont nous n’avons pas encore totalement idée aujourd’hui.
« Il y a 10 ans, avions-nous imaginé les emplois du web de 2018 comme par exemple community manager, youtubers, chargé d’e-reputation etc… ? »
D’ici 2025, on peut prédire l’apparition de métiers qui consistent à coder l’intelligence artificielle (développeur informatique) et s’assurer de la qualité des données (Data scientist). Parmi eux, les entraîneurs de l’IA, qui vont vérifier que la machine a bien intégré l’apprentissage, les responsables éthiques qui vont surveiller que les logiciels n’oublient personne et n’embarquent pas de biais injustes dans leurs paramètres de sélection.
D’ici à 2022, pour les entreprises qui investissent dans l’intelligence artificielle, les économistes d’Accenture Research anticipent une croissance mondiale de l’emploi de l’ordre de 10%.
Pensez-vous que les machines vont, à moyen ou long terme, pouvoir remplacer totalement l’homme ?
Toutes les technologies, même les plus innovantes, ne remplaceront jamais l’homme. La collaboration entre la machine et l’humain sera toujours de mise. Mais il va falloir repenser ce lien entre eux, évoluer et s’adapter au fil des avancées techniques et numériques.
Un monde gouverné par des robots est-ce donc possible dans les prochaines années ?
C’est de l’ordre de la science-fiction.
Mais cela peut également faire peur car nous ne sommes pas à l’abri de défaillances et d’erreurs techniques. Qu’en pensez-vous ?
L’intelligence artificielle décide de beaucoup de choses dans notre quotidien et nous lui faisons confiance. Quand nous prenons l’avion c’est elle qui le fait décoller, voler et atterrir. Lors d’un test avec une voiture autonome aux Pays-Bas, on s’est rendu compte qu’elle pouvait être plus fiable que l’homme dans une situation de freinage d’urgence.
« Le problème se pose plutôt sur la sécurité de toutes nos données personnelles et professionnelles. Nous ne sommes pas à l’abri de cyberattaques, menées par des personnes armées de mauvaises intentions. »
Même si, comme je l’ai expliqué précédemment, l’intelligence artificielle nous protège aussi. Nous entrons dans une ère de gouvernance déstabilisante où, très exposés avec tous les services du quotidien, la vie de nos données nous échappe et nous échappera. A nous d’être vigilants !
Ne nous acheminons-nous pas plutôt vers un monde professionnel où les hommes et les machines vont se compléter de plus en plus et unir leurs compétences propres ?
Absolument. Un des meilleurs exemples concerne le diagnostic du cancer du sein à la lecture de l’imagerie médicale. L’IA seule obtient 92% de réussite, le docteur diplômé 96% et en combinant les deux, on arrive à 99,5% de réussite. Un autre exemple : je mets en place des « co-bots » au service de mes collègues chargés de veille sectorielle. Jusqu’à maintenant, ces derniers passaient beaucoup de temps à filtrer un déluge d’informations. Depuis peu, ils ont commencé à former leurs nouveaux « co-llègues ro-bots » à cerner leurs centres d’intérêts couverts par un grand nombres de sources internationales, et ne leur remonter qu’une information hyper-pertinente qu’ils ont le temps de traiter.
« Le co-bot complète son créateur humain, pour étendre ses compétences. »