Interview d’Emilie, huissier associée au sein de la SELARL Alexandre & associés à Angoulême et huissier depuis 8 ans a répondu à nos questions sur son métier.
Pouvez-vous expliquer aux jeunes en quoi consiste votre métier de huissier de justice ?
Dans mon métier, il y a deux grandes activités principales :
– Exécuter des décisions de justice, faire du recouvrement judiciaire, mais aussi du recouvrement à l’amiable, c’est-à-dire avant décision de justice pour des crédits consommation ou des factures impayées, etc.
– Faire des constats, c’est-à-dire faire des descriptions à l’instant T d’une situation purement factuelle, sans en tirer nous même de conséquence juridique, de manière à éclairer le juge sur l’existence d’un fait. Il peut y avoir des constats préventifs, donc avant tout procès, c’est ce qu’on fait assez souvent dans les travaux publics. Par exemple, avant qu’un chantier ne commence, on va constater l’état des façades des immeubles et des maisons pour voir si elles sont déjà fissurées ou pas. Il y a aussi les constats défensifs qui surviennent le plus souvent au cours d’un conflit.
Et concrètement, si vous deviez décrire une journée type ?
L’huissier est assez peu au bureau. Une journée type commence à 8h du matin avec l’ouverture du courrier. Ensuite, je pars en constat, je fais quelques saisies. Par exemple, des saisies-vente de meuble : il s’agit surtout d’aller à la rencontre des gens qui ont été condamnés en justice à payer une somme d’argent, de faire un inventaire des meubles qu’ils possèdent et qui permettraient de payer ce qu’ils doivent, et d’essayer de trouver un accord sans être obligé d’aller jusqu’au bout de la procédure, c’est-à-dire la vente aux enchères de ces meubles pour pouvoir payer leurs dettes. Aller chez eux, permet surtout de comprendre leur situation. Il y a beaucoup de gens que l’on va vouloir contacter par tous les moyens et qui ne répondront jamais. Nous seront donc obligés d’aller chez eux pour avoir le premier contact. Enfin, je reviens en fin de journée au bureau pour faire le point avec les salariés, signer les constats qui ont été tapés et résoudre les différents problèmes qui ont pu se présenter.
Vous travaillez seule ou en équipe ?
J’ai des associés, nous avons chacun nos spécialités. Au sein d’une étude comme la nôtre, il y a différents services.
Quand je fais des constats, j’ai une secrétaire qui s’occupe des constats. Quand je vais en saisie à la rencontre des gens, en fonction du dossier, je vais avoir à faire à une ou deux gestionnaires. Et il y a même des secrétaires qui sont spécialisés. Par exemple quand on fait une saisie sur immeuble, j’ai une secrétaire attachée avec moi qui s’occupe de ces dossiers.
Sur le terrain en revanche, nous sommes tout seul. Nous sommes accompagnés uniquement quand nous faisons des ouvertures forcées, c’est-à-dire quand on ouvre la porte et que les gens ne sont pas là. Nous avons donc un serrurier et des témoins. Quand nous expulsons les gens, bien que cela arrive très rarement, nous sommes accompagnés par les forces de l’ordre. Mais tout dépend de l’endroit où vous êtes. Là je suis à Angoulême, mais quand j’étais en région parisienne, dans certains quartiers, j’étais accompagnée par le serrurier et les forces de l’ordre pour de simples saisies et ouvertures forcées.
On ne fait vraiment pas le même métier en fonction de l’endroit où l’on exerce et de la taille de l’étude. Quand vous êtes seul, vous faites un peu de tout, mais quand vous avez des associés, vous vous spécialisez beaucoup plus.
Quel a été votre parcours pour arriver au métier de huissier de justice ?
J’ai fait un Bac S, puis la fac de droit à Nancy. J’ai fait un master 1 puis un master 2 voies d’exécution à Lyon. Ensuite, j’ai fait un stage de deux ans qui est obligatoire. Il n’y a pas de concours d’entrée pour être huissier, mais vous êtes pendant deux ans dans une étude avec un salaire non pas de stagiaire, mais d’employé et en parallèle vous faites l’École nationale de procédure (ENP). Au terme de la 2ème année, vous passez l’examen professionnel d’huissier de justice, comme c’est un examen il faut simplement avoir la moyenne. Il faut savoir que beaucoup font deux ans de stage et ne réussissent jamais l’examen, il n’y a qu’entre 15% et 25% de réussite et vous ne pouvez le passer que quatre fois avec deux sessions par an.
À mon époque il n’y avait pas d’huissier salarié. Il fallait donc acheter une étude, ce que j’ai fait à 27 ans. Aujourd’hui, on peut être huissier salarié comme notaire salarié : vous avez donc un salaire, et n’êtes pas rémunéré en fonction du chiffre d’affaires.
Quelles qualités faut-il pour exercer ce métier ?
Comme tout métier coercitif, il faut l’exercer de manière pondérée. Nous avons le pouvoir de rentrer chez les gens quand ils ne sont pas là et c’est un énorme pouvoir, il n’y a que la police et les pompiers qui peuvent faire ça. Nous pouvons enlever des voitures, enlever des meubles, expulser des gens… Donc le plus important c’est d’appliquer son pouvoir avec pondération, empathie, il faut aussi être rigoureux. Enfin, nous sommes de plus en plus chefs d’entreprise il faut donc être courageux et entreprenant.
Qu’est-ce qui fait que vous aimez votre métier ?
J’aime ce métier pour les rencontres humaines. Vous pouvez, le matin, faire une expulsion et faire face à la misère humaine dans tous les sens du terme, que ce soit la misère sociale, intellectuelle ou financière et l’après-midi faire un constat dans un château avec du marbre partout et des dorures. C’est la richesse de notre métier, bien que nous ayons des tâches répétitives (constats, saisies, etc …) chacune est unique et on a toujours à faire à des gens différents.
Si vous aviez une chose à changer, ce serait quoi ?
La reconnaissance du métier auprès du grand public. Quand on parle d’un médecin, d’un juge, d’un avocat, ils ont une image très valorisante. Nous avons une image assez négative de l’huissier qui expulse les gens manu militari alors qu’en fait ce genre de cas n’arrive seulement qu’au bout de deux ans et demi de procédure, après un long travail pour essayer de trouver une autre solution plus humaine et moins traumatisante. Par exemple dans mon cas cette année ça ne m’est arrivé qu’une seule fois de mener une procédure d’expulsion jusqu’à son terme.
Pour nous, huissier de justice, il s’agit toujours d’un échec. De manière générale, notre rôle, est bien plus celui d’aider les gens, en amont, à trouver une solution pour apurer leurs dettes de loyers (par exemple en mettant en place avec eux des échéanciers de paiement), ou en les aidant à trouver une solution de relogement, par exemple dans leur entourage familiale ou dans le secteur social en les orientant vers les Commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX)
Autre point, je pense qu’il faudrait changer la place des femmes, aujourd’hui il y a 3300 huissiers et seulement 800 femmes.
Il faudrait aussi donner un peu plus de valeur au métier d’huissier. Au sein de notre secteur juridique, notre profession n’est pas forcément la plus connue et la plus valorisée. Certains peuvent parfois s’imaginer que les huissiers de justice n’ont qu’une connaissance limitée du droit, ce qui est totalement faux. Le droit des procédures civiles d’exécution est une matière extrêmement transversale qui nécessite, par exemple, des connaissances pointues en droit des sûretés, en droit de la famille, en droit matrimonial, en droit des procédures collectives, etc.
Nous sommes des juristes généralistes mais également des spécialistes dans notre domaine. Il faudrait d’ailleurs qu’il y ait des spécialités d’huissier comme pour les avocats (droits de la famille, droit pénal). Pour nous, ce serait des spécialités en constats ou certaines exécutions forcées. Par exemple enlever un bateau c’est très différent d’enlever une voiture donc je pense que la profession devrait travailler là-dessus.
Une anecdote à nous raconter ?
Il y a environ 5 ans, il est arrivé qu’un propriétaire se fâche sur un locataire en disant qu’il avait fortement délabré son bien, et en effet le lieu était vraiment dans un sale état. Et suite à ça le propriétaire me dit : « Rendez-vous compte de l’état dans lequel il l’a mis, je l’avais quand même rénové en 1947 ! »
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut devenir huissier de justice ?
On ne peut pas faire ce métier aujourd’hui si on n’a pas cette volonté d’entreprendre, car nous sommes huissiers de justice, mais aussi chefs d’entreprise. Si vous n’avez pas ça, ce n’est pas la peine de faire ce métier. L’huissier comme on le voyait ce n’est plus vraiment ça, ce n’est plus partir le matin et laisser la paperasse à des secrétaires.
Qu’il soit bien accroché ! Il faut faire une fac de droit et beaucoup travailler. Se spécialiser au fur et à mesure en procédure civile et en voie d’exécution. Et surtout au moment du stage, être un stagiaire rigoureux, ne pas se contenter de faire ses 35h, car le maître de stage a sa journée de travail et est plutôt libre le soir de 17h à 19h. Échanger avec lui permet d’apprendre beaucoup de choses. Il faut montrer que vous avez envie de suivre les dossiers du début à la fin. Il faut prendre des initiatives et montrer que vous n’avez pas peur d’oser.
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