Tu es joueur ou joueuse de jeux vidéo ? Et si on te disait que les jeux auxquels tu joues et ton rôle dans ces jeux peuvent en dire long sur toi et t’aider à trouver ta voie professionnelle ?
Sandrine Zelinsky, coach professionnelle spécialisée dans les jeux vidéo, travaille avec des gamers débutants à confirmés pour les aider à déployer tout leur potentiel et les compétences acquises dans le jeu dans leur vie scolaire et professionnelle.
En quoi consiste ton métier inédit de Game Changer Support et quel est ton parcours ?
J’ai passé 15 ans dans les grands groupes en restructuration de services financiers. Sur la fin, j’ai eu en charge des apprentis et je me suis rendue compte que ceux qui s’adaptent le mieux étaient les joueurs de jeux vidéo.
J’ai commencé à faire une certification de coaching professionnel avec un mémoire sur la place d’un coach dans cet environnement Gaming, et j’ai décidé de m’installer sur Toulouse pour développer cette activité. Je me suis rendue compte que ça n’existait pas !
Je travaille à développer la confiance en soi des joueurs, du niveau débutant au niveau professionnel (car je suis aussi préparateur mental pour des eSportifs, des cyber athlètes). C’est très différent du game coach qui entraîne les joueurs. On est sur des bases de psychologie, de sociologie.
On s’est rendu compte qu’un joueur de jeu vidéo utilise beaucoup plus son potentiel et prend des décisions beaucoup plus vite par rapport à l’analyse des données qu’il enregistre.
« Les joueurs ont développé une intuition par rapport à comment fonctionne la machine et quand ils sont dans la vie réelle ils ont cette même intuition mais avec les gens. Ils acquièrent des compétences en terme de management, en gestion des ressources, etc. C’est comme une expérience professionnelle avant même de commencer à entrer dans le monde du travail. »
Mon métier c’est de faire en sorte qu’ils soient eux mêmes. Je me rends compte qu’aujourd’hui les entreprises ont beaucoup de mal à recruter, et les gamers ont du mal à trouver du boulot. Les entreprises ne savent plus communiquer avec les jeunes et faire en sorte qu’ils se reconnaissent dans leur discours. Il faudrait parler le même langage pour se retrouver, et je suis convaincue que les entreprises ont besoin du potentiel que les gamers peuvent apporter.
Que peux-tu dire à des jeunes passionnés de jeux vidéo qui veulent en faire un métier ? Quels sont les débouchés et les risques ?
Les gamers voient un métier avec un cadre. Le seul environnement qu’ils connaissent c’est les jeux vidéo donc ils se disent qu’ils vont travailler dans ce secteur, alors qu’en réalité très peu y arrivent. Alors il faut penser à la reconversion. C’est exactement comme les jeunes qui font du sport et qui veulent devenir sportifs professionnels.
Déjà c’est se demander : pourquoi je joue, pourquoi je veux être eSportif ? Il ne faut pas que ce soit la seule porte de sortie. Il faut donc trouver un métier ou une forme de métier qui permette d’utiliser ces compétences.
On entend souvent “les joueurs de jeu vidéo ils veulent que ce soit tout le temps fun”. C’est la théorie du flow. Quand je travaille en préparation mentale avec des cyber athlètes, le problème c’est qu’ils ont perdu cette dimension jeu dès qu’il y a un objectif et que de la compétition. Ils ne progressent plus voir ils régressent car il n’y a plus d’amusement. Cela entraîne du dopage alors que ce sont les leviers motivationnels qui ne fonctionnent plus.
« À partir du moment où ils prennent conscience que ce qu’ils font dans les jeux vidéo peut leur permettre d’être bon dans la vraie vie, ça change tout. Le jeu permet d’apprendre et de développer le meilleur de soi même. »
J’utilise les mots des jeux vidéos pour parler dans la vie réelle. Comme dans Minecraft où il faut récupérer du bois pour construire une maison, c’est pareil avec le parcours scolaire : récupérer des bonnes notes pour avancer. Le voir comme une ressource et non un objectif, ce n’est plus du tout la même chose.
Des questions pour Sandrine ? Elle te répond sur JobIRL
Quel type de compétences les joueurs de jeux vidéo acquièrent-ils et peuvent valoriser sur le monde du travail ?
Le jeu vidéo n’est pas vu comme une activité sérieuse par la plupart des gens. Pourtant, j’ai des jeunes qui ont 3 000 heures sur Minecraft. Qui a 3 000 heures à faire du management, à gérer des ressources, etc. ?! Même dans le sport on a pas ça.
Par exemple, Rainbow Six est un jeu d’infiltration très sérieux où il faut aller déminer. Cela implique une bonne cohésion d’équipe, savoir qui fait quoi, être rapide d’esprit. C’est être le meilleur de soi-même.
J’ai ouvert serveur Discord pour que les jeunes que je rencontre se mettent en contact les uns avec les autres. Quand on voit les échanges de mail, les analyses… c’est poussé. Ils ont une approche très pro, pragmatique, structurée des choses.
Puis s’il y a bien un skill que les gamers ont, c’est l’anglais. Alors qu’ils peuvent être nuls en anglais à l’école !
Les compétences des gamers en résumé : Rapidité d’esprit – Adaptation – Cohésion d’équipe – Management – Gestion de ressources – Esprit critique et d’analyse – Pragmatisme – Rigueur
La problématique c’est de passer de l’un à l’autre. Les gamers n’ont pas conscience que ce potentiel peut leur être utile dans la vie scolaire ou professionnelle. Ils pensent qu’il y a le jeu d’un côté et la vie réelle de l’autre alors qu’en fait non. C’est toi, ta personne, tes idées, et il n’y a pas de raison que tu ne puisses pas faire pareil dans la vie réelle.
Vers quels secteurs et métiers les gamers se dirigent-ils plus souvent ?
Il faut qu’il y ait le rapport à la machine. Souvent c’est donc plutôt des métiers techniques ou du digital. Et puis il y a les profils qui ont un très bon rapport à la communauté et dont la force va être de rassembler… Ils peuvent s’orienter vers des métiers en gestion de projet, quel que soit le projet !
J’ai vu une jeune fille complètement perdue dans son orientation, intéressée par la psychologie et la médecine mais en même temps par le côté technique et qui ne voulait pas être en face des gens. Elle n’avait pas du tout imaginé qu’elle pouvait travailler en recherche dans de l’intelligence artificielle. C’est lié à la médecine mais fait aussi appel aux matières techniques et scientifiques, au numérique.
Il y a pleins d’entreprises qui font des choses très intéressantes (et fun) dont les gamers n’ont pas du tout conscience.
« Chez Ubisoft par exemple, ils ont recruté un chef de projet qui était plombier parce qu’il était chef de guilde sur World Of Warcraft. Ils se sont dit qu’il savait gérer une équipe. »
En cybersécurité, les gamers pourraient s’éclater aussi. Ils sont définitivement faits pour des métiers innovants, ils ont pleins d’idées ! Il faut juste que le cadre leur convienne, être eux-mêmes et qu’on essaye pas de les transformer en robot.
Quels sont les éléments sur lesquels tu te bases pour déterminer le profil d’un jeune et l’accompagner au mieux ?
Ce que je regarde chez les joueurs de jeux vidéo c’est leur perception, ce qu’ils ressentent dans leur expérience.
Parmi eux, il y a les fonceurs dont la dimension stratégique est “Je fonce et on verra, j’apprends de mes erreurs” et d’autres qui analysent la situation et qui avancent une fois qu’ils ont toutes les informations. Je fais donc travailler les joueurs sur ce qu’il aiment (le jeu) pour pouvoir déterminer quel environnement il leur faut et donc quel job.
« Un jeune de 14 ans qui me dit qu’il fait tout le temps des Top 1 sur Fortnite, je me dis qu’il peut être entrepreneur et créer sa start-up ! »
Il a de la volonté, il sait être performant au bon moment. Le type de jeu, la façon dont tu y joues et ce qui te plait dans le jeu va donner énormément d’informations sur la personne.
Le “skin” aussi. A l’époque on mettait un costume pour être perçu par l’autre comme appartenant à l’environnement alors que le skin du jeu montre qui on est à l’intérieur. C’est libre, ça veut dire “Je suis moi et je ne fais pas de compromis là dessus”.
Qu’est-ce que tu aimerais voir changer dans cet univers gaming et dans la façon dont on voit les joueurs ?
J’aimerais qu’ils soient reconnus en temps que joueurs. Et puis il faut de l’encadrement.
Quand il y a des filles, elles sont harcelées. On les attaque sur le fait qu’elle soit des filles, donc elles arrêtent de jouer. Dans le jeu, certaines acceptent de prendre un pseudo de garçons, mais ce n’est pas normal. C’est là où tu es sensé être le plus toi même donc si tu commences à devoir te cacher… Comme dans toute compétition, s’il n’y a pas de cadre on essaye de déstabiliser l’adversaire. Mon rêve serait que quelqu’un qui insulte trop soit dégradé. Il n’y a rien qui fasse plus mal que ça à un joueur qui a réussi à atteindre un super niveau.
Ça serait peut être le moment d’encadrer les joueurs avec des entraînements où ils s’amusent et de créer des clubs de jeux vidéos avec des coachs, où on leur apprend les bonnes pratiques.
En entreprise, j’aimerais qu’on forme les recruteurs à connaître les jeux. Si je tombe sur un chef de projet qui est joueur, j’ai juste à lui dire que le candidat joue à tel ou tel jeu, et ça va très vite les entretiens !
« Je connais pleins de joueurs qui ont eu des supers postes car ils ont osé et qu’ils savaient le faire : les jeux le prouvent. Le message c’est baisse pas les bras de suite, apprends d’abord. Ça marche dans le jeu comme dans la vie ! »
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